Comme chrétiens, nous sommes appelés à rendre
compte de la portée actuelle de la vie et de la mort de
Jésus, et donc à dire pourquoi et en quoi et comment
cette vie et cette mort sont actuelles du fait de la
Résurrection de Jésus. Or, rendre compte du
Ressuscité, c’est attester la portée actuelle de son
« monothéisme » face à la crise de la civilisation
contemporaine. Nous sommes habitués, dans l’Église,
à parler de la portée actuelle de sa vie et de sa mort
pour nous comme personnes individuelles, et encore
pour la communauté chrétienne, pour l’Église. Mais
l’Église et les chrétiens vivent dans la société
humaine, au sein de l’humanité, et ils y ont comme
vocation d’attester la portée de son monothéisme.
I. La crise de la civilisation contemporaine : ses causes – quel remède ?
En fait, ce qu’on appelle « la crise » est un ensemble
de crises : écologique, économique, financière,
sociale, mais aussi plus généralement humaine,
culturelle et spirituelle. Il importe de distinguer entre
les catastrophes naturelles en tant qu’indépendantes
de la civilisation, et les catastrophes qui sont dues à
cette dernière. Les différentes facettes de la crise de
notre civilisation à l’époque contemporaine, ont une
ou des cause/s commune/s. La crise, celle de la
modernité, est une crise de la civilisation moderne.
Les fondements de la civilisation moderne
(les principes qui portent la modernité) sont ébranlés !
Pour le philosophe Descartes et la modernité, il y a
d’un côté l’être humain comme sujet pensant, ou de
raison et de l’autre la nature comme objet de maîtrise
de la raison humaine. Ainsi, la modernité fonctionne
sans recourir à l’hypothèse Dieu. L’oubli de Dieu,
comme dit Heidegger, est pour ainsi dire son
enseigne. Dans la présente crise de la modernité, les
fondements de celle-ci s’avèrent incertains ; ils ont
été opératoires, efficients, mais leurs effets pervers
apparaissent avec un poids tel qu’il questionne le
dualisme qui est à sa base.
Ce qui est fondamentalement remis en question, ce
sont : la réduction de la nature à son objectivité
quantifiable, l’exploitation de la nature par
l’économie libérale, le matérialisme triomphant de
fait comme implication de « l’économisme ». La
sortie de crise s’atteste dans ce que ces impasses
rappellent : l’irréductibilité de la nature, l’unité de
l’humanité, l’incompressibilité de la question du sens
et donc ultimement de la quête de Dieu.
Le principe dualiste est la cause même de sa crise.
Celle-ci apparaît comme la conséquence de
l’insuffisance du principe qui l’a fait naître. Pourtant,
dans la crise des fondements que nous vivons Dieu est
de retour. La crise apparaît comme un jugement
immanent qui renvoie aux véritables fondements du
réel. Dieu qui est la dimension de transcendance du
réel est de retour. En ce sens, la crise de la modernité
est une « visitation » de Dieu, un jugement qui appelle
à un changement de mentalité ou de paradigme. Et
il en appelle à une éthique de responsabilité. La
science liée à la pensée est responsable.
La crise de la modernité a pour cause le dualisme qui
s’avère être la voie royale d’un polythéisme de fait.
L’oubli du Dieu unique a fait proliférer les dieux.
Confesser le Dieu unique, c’est détrôner toutes les
idoles, personnelles et collectives ; c’est nommer ce
qui, prétendant être Dieu, ne l’est pas mais est, de
par cette prétention, proprement destructeur et
démoniaque. L’argent, la sexualité, le pouvoir…,
comme idoles, nous détruisent dans notre unité
personnelle. Avoir une idole, c’est être « possédé »
par elle. Confesser le Dieu unique, c’est lui soumettre
ces puissances créées qui, alors, sont bonnes,
créatives, constructives. La confession de l’unicité de
Dieu est le fondement de notre propre unification.
Nos pays ont besoin de la prédication du Dieu unique,
à cause de la portée salutaire, constructive, de la
confession de foi monothéiste, par rapport à la portée
destructrice, démoniaque, de l’idolâtrie, et cela au
plan écologique, économique, financier, social,
politique, juridique…
II. Qu’est-ce que le monothéisme ?
Pour beaucoup de nos contemporains le monothéisme
évoque d’abord une maladie, ou une perversion, de la
foi. Les fondamentalismes se caractérisent par le fait
qu’ils se réfèrent à des textes fondateurs dont ils font
une lecture littéraliste. L’intégrisme, quant à lui, se
réfère à telle période historique passée considérée
comme normative pour toujours ; il vise à restaurer
l’état de la religion de cette époque « idéale ».
Ce qui leur est commun, c’est leur statisme /
passéisme : la vérité intangible, donnée une fois pour
toutes, de l’ordre du dépôt disponible, se trouve dans
le passé. Il y a tout lieu de parler des aspects
démoniaques de la réalité empirique des religions
monothéistes : de leur capacité destructrice de la
personne humaine, des relations à autrui, à
l’environnement et donc à la création, ultimement à
Dieu. Cela tient à leur absolutisation de leur
compréhension de Dieu et, de fait, à la réduction de
sa liberté. L’absolutisation de la religion, c’est sa
réduction à l’idole, de sorte que Dieu, lui-même,
devienne une idole. Les idoles sont foncièrement
voraces. Les religions ainsi caractérisées ne peuvent
apporter aucune solution aux problèmes de notre
monde et également de l’être humain ; elles
constituent, au contraire, un problème supplémentaire
qui n’est pas des moindres.
La religion dans sa vérité, elle, n’est que comme
quête de la vérité. La vérité de la religion se constitue
dans cette quête : c’est là son statut, si on peut
dire, de n’avoir d’autre statut que celui de quête,
de quête de Dieu. C’est par là que la religion est
créative, constructrice. Le monothéisme selon sa vérité
tient à la relation à Dieu, une relation qui fonde et
donc permet l’unité ou l’unification du réel, y compris
de l’être humain personnel et collectif.
III. Le monothéisme de Jésus comme sens de sa vie et de sa mort
La vie de Jésus est caractérisée par son orientation
pleine et entière vers le Dieu qui vient. Ses paroles et
gestes de Fils de Dieu, de Fils de l’Homme, de
Prophète, de Serviteur souffrant annoncent le
Royaume de Dieu (présent et à venir). Son dernier
repas marque l’aboutissement de son ministère dans
son don de soi, qui d’autre part est la promesse à la
fois de la victoire sur le mal, sur le péché et sur la
mort, et de la nouvelle création.
La mort de Jésus est le fait : (1) des hommes (Judas,
le Sanhédrin, la foule, Pilate*), (2) de Jésus : Il se
donne lui-même, jusqu’à la mort ; il n’est donc pas
simplement ni ultimement victime mais acteur. Sa
mort est l’aboutissement du don de lui-même au Dieu
qui vient, (3) de Dieu, ce qui veut dire que Jésus la vit
pour Dieu, pour l’advenue de son Royaume.
Son monothéisme, c’est sa relation filiale au Dieu
vivant et sa confiance en la toute-puissance de ce
Dieu dans et à travers la finitude assumée de la vie
terrestre et l’impuissance assumée devant la mort.
A sa suite, la vocation pascale de l’Église et des
chrétiens dans et face à la crise de la civilisation
contemporaine est d’attester le Dieu vivant comme
Celui qui ouvre à travers cette crise une nouvelle
possibilité de penser et de vivre, d’être et de faire.
(* Si Jésus est livré par les hommes, la raison en est d’une
part leur compréhension pervertie du monothéisme,
laquelle conduit à une instrumentalisation du pouvoir
politique par la religion - d’autre part la faiblesse du
pouvoir politique qui se laisse manipuler par la religion
pervertie parce qu’absolutisée. On peut dire que la raison
de la mort de Jésus, ce sont les hommes, les instances
humaines, nommés, qui tiennent d’un monothéisme
p e r v e r t i … )
Gilbert GREINER
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